C’est qu’être sensible est une chose, et sentir est une autre. L’une est une affaire d’âme, l’autre une affaire de jugement. C’est qu’on sent avec force et qu’on ne saurait rendre ; c’est qu’on rend, seul, en société, au coin d’un foyer, en lisant, en jouant, pour quelques auditeurs, et qu’on ne rend rien qui vaille au théâtre
 Denis Diderot, Paradoxe sur le comédien (1830). copier la citation

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Auteur Denis Diderot
Œuvre Paradoxe sur le comédien
Thème jugement foyer
Date 1830
Langue Français
Référence
Note
Lien web https://fr.wikisource.org/wiki/Paradoxe_sur_le_comédien

Contexte

“La sensibilité étant, en effet, compagne de la douleur et de la faiblesse, dites-moi si une créature douce, faible et sensible est bien propre à concevoir et à rendre le sang-froid de Léontine, les transports jaloux d’Hermione, les fureurs de Camille, la tendresse maternelle de Mérope, le délire et les remords de Phèdre, l’orgueil tyrannique d’Agrippine, la violence de Clytemnestre ? Abandonnez votre éternelle pleureuse à quelques-uns de nos rôles élégiaques, et ne l’en tirez pas. C’est qu’être sensible est une chose, et sentir est une autre. L’une est une affaire d’âme, l’autre une affaire de jugement. C’est qu’on sent avec force et qu’on ne saurait rendre ; c’est qu’on rend, seul, en société, au coin d’un foyer, en lisant, en jouant, pour quelques auditeurs, et qu’on ne rend rien qui vaille au théâtre ; c’est qu’au théâtre, avec ce qu’on appelle de la sensibilité, de l’âme, des entrailles, on rend bien une ou deux tirades et qu’on manque le reste ; c’est qu’embrasser toute l’étendue d’un grand rôle, y ménager les clairs et les obscurs, les doux et les faibles, se montrer égal dans les endroits tranquilles et dans les endroits agités, être varié dans les détails, harmonieux et un dans l’ensemble, et se former un système soutenu de déclamation qui aille jusqu’à sauver les boutades du poète, c’est l’ouvrage d’une tête froide, d’un profond jugement, d’un goût exquis, d’une étude pénible, d’une longue expérience et d’une ténacité de mémoire peu commune ;” source