ce qu’on aime est trop dans le passé, consiste trop dans le temps perdu ensemble pour qu’on ait besoin de toute la femme ; on veut seulement être sûr que c’est elle, ne pas se tromper sur l’identité, autrement importante que la beauté pour ceux qui aiment
 Marcel Proust, Albertine disparue (1925). copier la citation

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Auteur Marcel Proust
Œuvre Albertine disparue
Thème identité beauté
Date 1925
Langue Français
Référence
Note
Lien web https://fr.wikisource.org/wiki/Albertine_disparue/Texte_entier

Contexte

“maigre, enlaidie par un vilain chapeau qui ne laissait dépasser qu’un petit bout de vilain nez et voir de côté que des joues blanches comme des vers blancs, je retrouvais bien peu d’elle, assez cependant pour qu’au saut qu’elle faisait dans ma voiture je susse que c’était elle, qu’elle avait été exacte au rendez-vous et n’était pas allée ailleurs ; et cela suffit ; ce qu’on aime est trop dans le passé, consiste trop dans le temps perdu ensemble pour qu’on ait besoin de toute la femme ; on veut seulement être sûr que c’est elle, ne pas se tromper sur l’identité, autrement importante que la beauté pour ceux qui aiment ; les joues peuvent se creuser, le corps s’amaigrir, même pour ceux qui ont été d’abord le plus orgueilleux, aux yeux des autres, de leur domination sur une beauté, ce petit bout de museau, ce signe où se résume la personnalité permanente d’une femme, cet extrait algébrique, cette constante, cela suffit pour qu’un homme attendu dans le plus grand monde, et qui l’aimerait, ne puisse disposer d’une seule de ses soirées parce qu’il passe son temps à peigner et à dépeigner, jusqu’à l’heure de s’endormir, la femme qu’il aime, ou simplement à rester auprès d’elle, pour être avec elle, ou pour qu’elle soit avec lui, ou seulement pour qu’elle ne soit pas avec d’autres.” source